Les zones dotées de réglementations économiques uniques sont un outil prisé des décideurs africains, mais quelles sont les preuves de leur succès ? S’il n’existe pas de modèle unique, les ZES les plus performantes sont celles qui privilégient les partenariats internationaux.
Les zones économiques spéciales (ZES) sont depuis longtemps présentées comme un moyen efficace d’accroître les investissements étrangers, de développer le commerce et de créer des emplois dans les pays en développement comme dans les pays développés, notamment l’Europe.
Les ZES se présentent sous de nombreuses formes, mais il s’agit généralement de zones géographiquement limitées où les entreprises bénéficient d’avantages fiscaux et d’autres privilèges juridiques, mis en place pour attirer les investissements étrangers et stimuler l’emploi. Elles ont été mises en place à la fin des années 1950 dans les pays industrialisés et se sont rapidement étendues à l’Amérique latine et à l’Asie de l’Est.
La CNUCED comptait 237 ZES en 2020 dans 38 des 54 pays du continent. Le Kenya revendiquait le plus grand nombre de zones, soit 61, suivi du Nigeria (38), de l’Éthiopie (18) et de l’Égypte (10).
« Les avantages des ZES incluent la mise à niveau de la base industrielle locale en tant que véhicule pour les investissements étrangers, l’aide à l’agenda de l’innovation, la création et le partage des connaissances », explique à African Business Amelia Santos Paulino, qui a dirigé un rapport de la CNUCED.
Lequel dénombre de nombreux exemples où les ZES n’ont pas bien fonctionné et où les investissements attendus ne se sont pas matérialisés. « À quelques exceptions près, les performances des ZES africaines ont jusqu’à présent été inférieures aux attentes », note le rapport. Bien que les performances relativement faibles des ZES ne soient pas rares, la trajectoire de la plupart des ZES africaines contraste avec les expériences de développement de zones en Asie de l’Est et dans certains pays d’Amérique latine. Les recherches et les données empiriques suggèrent que de nombreuses zones africaines sont encore loin d’atteindre leurs objectifs, même en tenant compte des gains économiques les plus directs habituellement attendus des ZES, tels que l’augmentation des IDE, des exportations et des emplois…
Les clés du succès
« En outre, de nombreuses zones africaines sont restées des enclaves isolées, ne parvenant pas à dynamiser le contexte industriel environnant. Les raisons de ces lacunes sont souvent liées à la conception et à la mise en œuvre des politiques et des programmes relatifs aux ZES… Le risque est d’autant plus grand quand de nouvelles zones sont créées dans des endroits où les conditions ne sont pas aussi propices au succès. Ce qui ne fait que grossir les rangs des zones peu performantes du continent. »
Le rapport souligne que le Ghana, le Kenya et le Sénégal sont trois pays où les ZES ont été mises en œuvre avec succès. Amelia Santos Paulino y voit le bénéfice d’une « approche intégrée » dans laquelle les gouvernements alignent leurs politiques dans tous les ministères. Une autorité spéciale qui travaille aux côtés du ministère de l’investissement ou du ministère du commerce rend le pays beaucoup plus attrayant pour les investisseurs étrangers qui apprécient une approche politique cohérente.
Le renforcement des normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) peut également rendre les ZES plus compétitives et plus attrayantes pour les capitaux étrangers. Un autre facteur consiste à adapter les politiques et les stratégies pour qu’elles tiennent compte à la fois du contexte local et des tendances économiques internationales, en fixant des objectifs réalistes fondés sur l’avantage comparatif du pays.
Comme les ZES sont généralement créées pour les entreprises orientées vers l’exportation, les gouvernements devraient entreprendre une évaluation stratégique sérieuse pour comprendre quels produits seront compétitifs sur les marchés internationaux. Les partenariats internationaux – avec des gouvernements étrangers, des entreprises privées ou des institutions internationales – sont également essentiels pour apprendre les meilleures pratiques.
Cela étant, le rapport prévient que les transferts de connaissances entre les partenaires ne se font pas automatiquement. Les mécanismes de transfert formels sont d’une « importance cruciale pour permettre un échange efficace de savoir-faire ». En outre, les garanties visant à atténuer les risques découlant de conflits d’intérêts, d’un manque de confiance et d’un mauvais alignement des objectifs jouent un rôle important dans la détermination des résultats des partenariats internationaux.
Amelia Santos Paulino cite en exemple l’île Maurice « comme un cas de réussite en Afrique, utilisant sa ZES pour le développement économique ». Le pays « a encouragé les partenariats internationaux par le biais d’une zone transfrontalière et cela a été un grand succès ».
Des opportunités sur tout le continent
L’Afrique du Sud est un autre bon exemple, le pays utilisant « les zones transfrontalières et les partenariats internationaux pour catalyser le développement ». La zone économique spéciale de Musina-Makhado, à la frontière entre l’Afrique du Sud et le Zimbabwe, fait appel à la Communauté de développement de l’Afrique australe pour multiplier les créations d’emplois dans le secteur de la métallurgie.
La construction de ZES en Afrique implique souvent de multiples partenaires, dont des gouvernements, des entreprises privées et des institutions financières de développement. Gagan Gupta, PDG d’Arise, affirme qu’il existe de nombreuses opportunités pour les zones économiques en Afrique. « Nous sommes actuellement présents au Gabon, au Bénin, au Togo et en Côte d’Ivoire. »
« La prochaine phase de croissance, nous l’étendrons à la République du Congo et à la RD Congo pour nous concentrer sur le bois. Ensuite, nous allons au Sénégal pour l’agriculture, puis au Tchad pour la transformation de la viande. » Le Tchad compte plus de 126 millions de têtes de bétail, dont des chameaux, des vaches et des moutons, mais le secteur souffre d’un manque de développement et d’industrialisation. Arise espère aider à développer l’ensemble de la chaîne de valeur, de l’élevage aux transformateurs et aux exportateurs, en ajoutant de la valeur à toutes les étapes. Gagan Gupta cite la zone économique spéciale d’Arise au Gabon, qui sert de modèle pour le reste des projets de la société en Afrique. La zone économique spéciale du Gabon (GSEZ) a été conçue pour transformer l’industrie du bois de ce pays d’Afrique centrale.
Elle a été créée en 2010, au moment où le gouvernement a mis en place une interdiction totale de l’exportation de toutes les grumes, afin d’encourager les entreprises à créer des sociétés de fabrication au Gabon. Malgré un ralentissement initial dans le secteur du bois, plus de 150 entreprises se sont depuis installées pour fabriquer des produits allant du placage au contreplaqué.
« Le Gabon exportait autrefois des grumes à 150 dollars le mètre cube. Aujourd’hui, il est le deuxième exportateur mondial de bois de placage, notamment vers le Vietnam. Cette année, il deviendra le deuxième exportateur de contreplaqué de l’hémisphère nord. Nous ouvrons notre premier magasin de meubles fabriqués au Gabon à Miami. Il se vend entre 10 000 et 12 000 dollars le mètre cube ; c’est inimaginable ! »
Impact sur les entreprises locales
La GSEZ a eu un effet d’entraînement dans de nombreux autres secteurs, les entrepreneurs locaux créant des entreprises qui alimentent l’industrie du bois, ajoutant des services auxiliaires comme la création de colle qui était auparavant importée ou des entreprises d’emballage. Les zones donnent également aux entreprises du secteur de l’énergie la possibilité d’alimenter les parcs industriels.
« Dans la plupart des ZES, l’énergie est solaire », explique Gagan Gupta. « Au Togo, nous construisons une centrale solaire et une installation de stockage pour nous assurer que la zone est durable. »
Amelia Santos Paulino affirme que l’impact positif sur les entreprises locales est une mesure clé du succès des ZES. L’une des principales préoccupations est que les entreprises étrangères, qui bénéficient souvent d’avantages fiscaux trop généreux pour les inciter à investir, en tirent un bénéfice disproportionné.
Si les entreprises n’exportent que des matières premières et ne paient pas d’impôts, le pays d’accueil n’en tirera que très peu de bénéfices. De nombreux pays sont soumis à de telles contraintes de capacité intérieure qu’ils peuvent être tentés d’accepter des accords moins favorables uniquement pour attirer les investissements.
« C’est pourquoi nous insistons pour que les ZES soient basées sur le développement, car il y a des enjeux importants de création d’emplois », explique la représentante de la CNUCED. « En plus d’attirer les investissements étrangers, nous devons penser à l’environnement et aux implications sociales. Et vraiment, l’objectif final est de mettre à niveau l’industrie locale et de diversifier les chaînes de valeur. »
En plus de cela, il y a des dizaines de parcs qui ont été construits et qui ne fonctionnent pourtant pas correctement. Amelia Santos Paulino affirme que seulement 15 % des ZES en Afrique fonctionnent à pleine capacité « et les défis sont liés à la performance ».
Sur l’ensemble du continent, « on a constaté que les ZES n’étaient pas assez performantes, même en ce qui concerne l’attraction des investissements et la création d’emplois. Une part considérable des ZES en Afrique reste largement sous-développée »
Adapter les stratégies aux circonstances
En effet, le rapport note qu’il n’existe pas de modèle unique de réussite : « La probabilité de succès de toute stratégie de ZES en Afrique dépend non seulement de l’apprentissage des meilleures pratiques, mais aussi de l’adaptation de ces pratiques aux caractéristiques spécifiques du territoire et du pays où la zone sera située. »
L’un de ces obstacles à la réussite d’une zone industrielle est le talent. « Ce sont les obstacles qui ne sont pas physiques », explique Gagan Gupta. « Comment former les gens à travailler dans les zones industrielles s’il y a un manque général de compétences sur le marché local ? » Pour sa part, Arise construit des centres de formation professionnelle dans toutes ses zones industrielles. Au Togo et au Bénin, la société forme des personnes aux métiers du textile. « Nous formons jusqu’à 1 000 personnes à la fois et nous accélérons le processus pour apporter plus de compétences humaines. »
Enfin, un autre obstacle invisible est l’accès aux marchés internationaux : « Si vous voulez exporter du contreplaqué en Europe, vous devez penser à des choses comme l’assurance qualité et les tests, tout en construisant des capacités localement pour réduire les coûts. »